dimanche 27 novembre 2011

I didn't want to die.











Il fait froid tu ne trouves pas ? Je tremble, regarde mes mains. C’est affligeant, je suis vraiment frileux comparé à toi. T’es sur de ne pas sentir le froid ? T’es peut-être malade. C’est pas normal d’être aussi insensible à ça.
Le paysage défile sans que rien ne semble pouvoir l’arrêter. C’est fort tout de même, cette capacité qu’a le temps de filer, comme ces gens qui marchent sans s’apercevoir que nous les regardons. Je me suis levé ce matin sans savoir que tout s’écroulerai aujourd’hui. J’ai pris mon petit-déjeuner en paix, sans me préoccuper de tous ceux qui ne mangent pas à leur faim. Cette pensée ne m’a pas effleuré. Pourtant tout prend un sens différent ce soir. Un peu plus dramatique non ? Les gens m’apparaissent différents, comme les couleurs et les sons. Ce café sent vraiment bon. Je pense n’en avoir jamais gouté de meilleur. Et cette femme qui traverse la route, tu la vois ? Je la trouve merveilleuse, avec ses cheveux longs qui s’agitent au rythme de sa marche. Elle est pleine d’assurance, elle est belle et pleine de fougue. Parce qu’elle ne sait pas mais moi si.
C’est fou ce qu’une journée peut faire changer un homme. En tout cas sa vision du reste. Quand je suis sorti de l’hôtel je ne pensais qu’à passer le temps, le tuer comme on dit. Je songeais à la manière dont j’aurais pu séduire la réceptionniste. Oui elle est enceinte et alors ? Ses grands yeux d’orage, sa manière d’être délicatement brusque, son sourire entendu… n’est-elle pas merveilleuse ? Je vois bien que tu feins d’ignorer ce que je te raconte pour que ça soit moins dur pour toi. Mais j’ai besoin de faire le point avant que ce qui doit être fait soit fait.
Tu entends cette musique ? Viens, accompagne-moi dans cette église, ça fait si longtemps que je ne suis pas confessé. Je ne suis pas croyant, ou si je l’ai été j’ai toujours été qu’un croyant à la carte. Mais j’ai envie d’expier mes fautes maintenant. Non, ne t’en fait pas, je ne vais pas lui raconter en détail, je sais que le temps est précieux et puis je ne voudrais pas lui faire peur avec ma sale vie et mes péchés. Qu’il puisse encore croire qu’il y a des gens biens dans le monde. Je n’en fais pas partie. Et puis t’as raison, je ne vais pas l’embêter avec mes histoires, finalement elles n’appartiennent qu’a moi. Chacun sa croix.

Je peux te demander une faveur ? La dernière je te le jure. Ne m’oublie pas, quand tout sera fini, pense encore à moi de temps en temps.  Mais rappelle-toi du bon vieux temps surtout. Pas du reste, ça n’en vaut pas la peine.

Si j’avais su, j’aurais pris le temps, je serais allé voir ma petite sœur. Tu sais qu’elle s’est mariée il y a six mois ? Oui ? Oh… Je n’en savais rien. Je serais allé la voir, voir ses grands yeux verts, ses taches de rousseurs qui lui picorent le visage et ses cheveux roux qui brillent comme un feu vif lorsque le soleil y pose ses rayons. J’aurais bu un verre avec elle et on aurait parlé du bon vieux temps, le seul dont il est bon de se remémorer. On aurait bavardé du temps qui passe, qui file à toute allure et qu’on remarque à peine. On aurait parlé des parents, des conneries de gosse, des joies et des peines que nous aurions pu partager à l’époque. On se serait juré de rattraper tout ça. Et quand j’aurais entendu son rire, je l’aurai serré dans mes bras et je serais parti. Elle m’aurait dit de venir la voir plus souvent, je lui aurais promis. Mais dans mes poches mes doigts auraient été croisés, et dans son regard j’aurai pu y lire qu’elle avait compris.
Dans le train, j’aurais regardé le paysage défiler, et j’aurais fait taire mes regrets. Tu sais pourquoi les voyages en train sont si mélancoliques toi ? Je crois que c’est parce qu’ils ont un son particulier, une musique que n’entendent que ceux qui savent qu’ils ne reviendront jamais. Le rire des enfants ne m’aurais pas dérangé cette fois. Je leur aurais pardonné d’être si plein d’entrain même si moi je suis vieux et aigri. Il aurait fait beau, comme aujourd’hui. Un ciel dégagé, bleu comme en été, et le soleil aurait fait disparaître la brume matinale. Quand je serais arrivé à la destination, j’aurais salué un jeune couple en leur souhaitant beaucoup de joie et ils m’auraient pris pour un fou alors que pour la première fois j’aurais été sincère.  Le soleil m’aurait aveuglé au sortir de la gare, et le vent qui balaye les feuilles d’automne les aurait fait virevolter comme un ballet. J’aurais marché plus lentement que la foule, profitant de chaque regard et de chaque sourire pour pouvoir les rendre. Je me serais arrêté à un café, où je t’aurais attendu, en buvant une bière.
Si j’avais eu d’autres amis, je leur aurais écrit une lettre, pour leur dire que la vie est une belle promesse, qu’il ne faut pas la gâcher en se disant qu’on aura le temps, qu’il faut suivre son cœur et ses envies pendant qu’il est encore temps. Je leur aurais dit qu’il faut rire et être heureux, avoir des gens à aimer, et se donner sans retenu pour ce qui nous semble important. Je leur aurais conseillé de toujours faire ce qui parait juste, et que la solitude blesse parfois mais qu’elle est nécessaire souvent. Je leur aurais écrit que la vie peut faire mal, mais qu’il faut l’aimer malgré tout, de s’y rattacher. Ne pas oublier ni les rires ni les larmes. Que chaque ride est une preuve du passé, que chaque épreuve solidifie, avec le temps bien que sur le coup ça semble juste nous détruire, qu’une nouvelle vie peut toujours commencer. D’être fière et entier, ne pas se laisser bouffer, de prendre le temps de respirer l’odeur des fleurs et de l’embrun. De garder en son cœur les plus belles images pour s’endormir en paix. Et puis je leur aurais dit adieu. Mais je n’ai que toi, alors c’est à toi que je raconte tout ça.
J’enfile ma veste et on y va, sous un ciel plein d’étoiles. Cette journée est la plus belle qu’il m’ait été donné de vivre, je crois que c’est ce que tu appelles un signe. Allez, tire pas cette tronche, dit-toi que je pars en voyage, que je ne serai pas plus mal qu’ici et c’était chouette de t’avoir rencontré.

Prends soin de toi vieux frère.


 

4 Phalange(s):

Anonyme a dit…

Quel texte extraordinaire de beauté ! On peut savoir qui l'a écrit ?

Psylvia a dit…

Et bien, ce sont mes mots.

Anonyme a dit…

Incroyable ! Félicitations ! Psylvia, tu es particulièrement douée !

Psylvia a dit…

Oh merci. Si j'avais pas si froid je rougirai de ce pas. Ravie que mes mots plaisent.

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Des mots en vracs.

"L'aliénation consiste en ce que l'individu laisse quelque chose de lui-même sortir de lui-même et devenir ainsi une influence ou un pouvoir extérieur" R. A.Nisbet


"Il en résulte que les raisons de vivre nous manquent; car la seule vie à laquelle nous puissions tenir ne répond plus à rien dans la réalité, et la seule qui soit encore fondée dans le réel ne répond plus à nos besoins" Durkheim