mardi 22 mai 2012

Se sentir vivre.






Mon cœur est une bête qui s'agite sous ma peau. Je l'entends grogner et gémir dès que la nuit impose son silence et son ambiance. Je l'entends battre et vociférer d'une telle manière qu'il me semble tout à fait inconcevable qu'il puisse entièrement faire partie de moi. Comme si une bête curieuse avait trouvé dans mon corps un refuge, un jour où j'avais dû m'absenter. Une sorte de parasite avec qui je vis par habitude, et sans doute plus aisément que je ne le craignais. Il a fallut s'apprivoiser d'abord, définir les limites, des frontières tacites mais nécessaires pour ne pas étouffer l'autre. Trouver dans cette altérité incongrue un soutien pour le moins inattendu. Depuis la plus tendre enfance je sens ce passager prendre de plus en plus de place, s'imposer sans scrupule, pourtant clandestin d'un corps qui était incontestablement le mien. Parce qu'accepter ne pas maitriser mon véhicule, ma chair si douloureuse parfois, me paraissait intolérable, fut-ce pour cet organe qu'on dit vital. Car finalement, qu'est-ce que le cœur sinon un simple muscle, une pompe à oxygéner mon sang ? Alors pourquoi targuer ce palpitant bruyant et grossier de siège des sentiments, des émotions, et qui plus est de l'Amour ? Si cela avait été la vessie ou le foie, il est fort à parier que nous ferions moins d'éloge à son propos. Je pense que nous n'entendrions pas autant de choses de l'amour. Coexister avec ce corps qui est trop et trop peu, avec ce cœur qui tire tant de ficelles invisibles mais réelles et cette tête qui ne saurait être aussi criante que par ceux-ci. Raison versus sensations. L'éternel combat qui semble encore jouer les prolongations. Mais cela me dépasse, ce n'est décidément pas à ma porté. Certes, je suis à même de disserter des heures sur cette dualité quasi mystique, je peux vous citer des gens très bien, et d'autres moins, qui savent pourtant parler de ces choses là. Oh ! Je ne dédaigne absolument pas les deux parties. Mais je crois percevoir peu à peu que j'ai du mal à ma laisser volontairement abuser par les sens. Je deviens de ces gens qui ont besoin de comprendre. Or, je ne veux pas de cela. Parce qu'à force de tout rationnaliser, je vois ces gens, ces foules innombrables ne plus quitter le sol des yeux, leur mine définitivement renfrognée. Et je ne veux pas de cela. Je veux m'émerveiller. C'est naïf, délicieusement candide.



"Se sentir vivre ce n'est pas seulement avoir conscience qu'on accomplit régulièrement les fonctions conservatrices de l'individu et, si l'on veut, de l'espèce. Se sentir vivre ce n'est pas non plus accomplir les gestes de sa vie selon un tracé bien délimité, d'accord avec les déductions d'un livre savant écrit par quelque auteur ne connaissant de la vie que les cornues, les creusets et les équations. Se sentir vivre ce n'est certes pas se contenir dans les allées bien sablées d'un jardin public quand vous appellent les sentiers capricieux des sous-bois sauvages. Se sentir vivre, c'est vibrer, tressaillir, frissonner aux parfums des fleurs, aux chants des oiseaux, aux bruits des vagues, aux hurlements du vent, au silence de la solitude, à la voix fiévreuse des foules. Se sentir vivre, c'est être sensible à la mélopée plaintive du pâtre comme aux harmonies des grands opéras, aux rayonnements d'un poème comme aux voluptés de l'amour.
Se sentir vivre, c'est rendre palpitants ceux des détails de sa vie qui en valent la peine : faire de celui-là une expérience passagère et de celui-ci une expérience qui réussisse. Tout cela sans contrainte, sans programme imposé à l'avance, selon son tempérament, son état d'être du moment, sa conception de la vie."


Emile Armand

Des mots en vracs.

"L'aliénation consiste en ce que l'individu laisse quelque chose de lui-même sortir de lui-même et devenir ainsi une influence ou un pouvoir extérieur" R. A.Nisbet


"Il en résulte que les raisons de vivre nous manquent; car la seule vie à laquelle nous puissions tenir ne répond plus à rien dans la réalité, et la seule qui soit encore fondée dans le réel ne répond plus à nos besoins" Durkheim