jeudi 17 novembre 2011

Alors tu te refais une vie quand la tienne se dissout lentement dans un verre de pétrole.








The 25th Hour

-          T’as qu’un mot à dire et je prends à gauche.
-          A gauche ? Pour aller où…
-          Washington Bridge, on file vers l’ouest, on te fait soigner quelque part et on reprend la route. On s’cherche une petite ville, on fait une étape à Chicago pour voir un match. T’as toujours dit que tu voulais voir le stade de Wrigley Field.
-          Arrête.
-          J’dis ça… si c’est ce que tu veux j’suis prêt à le faire.
-          Non, ils te prendront ton bar.
-          Pfff mon bar. Bon Dieu mon bar. Qu’il me le prenne le bar. Tu crois que mon bar compte plus que toi, mon fils unique ? T’as qu’un mot à dire et on file.
-          Ils me retrouveront. Ils me rattraperaient tôt ou tard.
-          Tu sais comment ils reprennent les gens ? Ils les reprennent quand ils reviennent chez eux. La plupart des fugitifs finissent par rentrer et c’est ça la grosse erreur. Tu te sauves et tu ne reviens jamais. Tu ne reviens plus. Nous roulerons, sans nous arrêter, jusqu’à ce qu’on se retrouve au milieu de nulle part, jusqu’au bout de la route. T’es jamais allé à l’ouest de Philadelphie ? C’est une région magnifique, c’est très beau, c’est un autre monde. Des montagnes, des collines, des vaches, des fermes et des églises toutes blanches. On s’est fait une virée une fois avec ta mère, avant ta naissance. De Brooklyn au Pacifique, en trois jours. On avait juste assez d’argent pour l’essence, les sandwichs et les cafés mais on y est arrivé. Hommes, femmes, enfants, tout le monde devrait voir le désert, une fois avant de mourir. Rien, à des kilomètres à la ronde. Rien que le sable, les pierres, les cactus et le ciel bleu. Personne en vue. Pas de sirène, pas d’alarme de voiture, personne ne klaxonne, pas de fou furieux qui hurle et qui pisse dans la rue. Tu trouves le silence, tu trouves la paix, tu peux trouver Dieu. Alors on va vers l’ouest. On roule jusqu’à ce qu’on trouve une jolie petite ville. Ces villes dans le désert, tu sais pourquoi est-ce qu’elles ont poussé là ? Parce que des gens avaient pris la tangente. Le désert c’est fait pour tout recommencer. On trouvera un bar et on boira des coups. Ça fait deux ans que j’ai pas bu d’alcool mais je boirais un verre avec toi, un dernier whisky avec mon fils. On prendra notre temps, on savourera le goût de l’orge tranquillement. Et puis je m’en irai. J’te dirai de ne surtout pas m’écrire, de ne jamais venir me voir. Je te dirai que je crois au royaume de Dieu et que je suis sûr que nous serons de nouveau réunis avec ta mère. Mais pas dans cette vie.
Tu trouveras du travail, un salaire en liquide, un patron qui ne posera pas de question. Tu repartiras de zéro et tu ne reviendras jamais. Monty, les gens comme toi c’est un cadeau. Où que tu ailles tu te feras toujours des amis. Tu travailleras dur, tu garderas la tête baissée, les lèvres serrées. Tu referas ta vie là-bas. Tu es new-yorkais, ça ne changera jamais. Tu as New-York dans le sang. Tu finiras tes jours dans l’ouest, mais tu resteras un new-yorkais. Tes amis te manqueront, on chien te manquera, mais tu es fort, tu as l’énergie de ta mère. Tu es fort comme elle. Tu trouveras les gens qu’il faut et tu te feras faire des papiers, un permis de conduire. Tu oublieras ton ancienne vie. Tu ne pourras pas revenir, tu ne pourras ni appeler ni écrire, tu ne te retourneras pas. Tu t’inventeras une nouvelle vie et tu la vivras, tu m’entends ? Tu vivras ta vie comme tu aurais dû la vivre. Et peut-être que, mais ça c’est dangereux, peut-être que, au bout de quelques années, tu enverras un mot à Naturelle. Tu fonderas une famille et tu élèveras bien tes enfants, tu m’entends ? Offre-leur une bonne vie, Monty, tout ce dont ils ont besoin. Si tu as un fils, peut-être que tu l’appelleras James, c’est un bon nom. Et peut-être qu’un jour, dans de nombreuses années, quand je serais parti rejoindre ta mère, tu réuniras les tiens et tu leur diras la vérité. Tu leur diras qui tu es et d’où tu viens. Tu leur raconteras toute l’histoire et tu leur demanderas s’ils savent à quel point ils ont de la chance d’être là. Et tu leur diras qu’ils ont bien failli ne jamais voir le jour. Tout cela a bien failli ne jamais exister.


1 Phalange(s):

Anonyme a dit…

Vaut mieux que tu écrives toi-même un article, même s'il est très court, même si ce n'est qu'une phrase, une pensée, un mot (enfin un peu plus que cinq lettres quand même hein, sauf pour "amour") !

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Des mots en vracs.

"L'aliénation consiste en ce que l'individu laisse quelque chose de lui-même sortir de lui-même et devenir ainsi une influence ou un pouvoir extérieur" R. A.Nisbet


"Il en résulte que les raisons de vivre nous manquent; car la seule vie à laquelle nous puissions tenir ne répond plus à rien dans la réalité, et la seule qui soit encore fondée dans le réel ne répond plus à nos besoins" Durkheim