J’ai toujours été une fille bizarre, un peu trop sensible et
qui réfléchissait trop. Puis ça s’est dégradé avec le temps. Je n’ai plus eu d’estime
pour moi-même, et quand on ne se supporte plus, il devient délicat de se replier
sur soi les jours de tempête. J’arrivais à tenir jusqu’alors. Je respectais les
délais communément autorisés et valorisés du deuil que l’on doit faire de la
personne que l’on est. Tout est une question de dosage. Il faut se montrer
forte et souriante mais également lâcher du lest et donner comme en pâture à
des chiens affamés un peu de sa douleur, de son déchirement pour qu’enfin on
vous foute la paix. Alors voilà, j’ai pensé que peut-être je pourrais écrire ma
peine. Pour me décharger un peu d’un fardeau trop lourd pour moi. Ce n’est pas
un appel à l’aide, je ne cherche pas à ce que quelqu’un se désigne dans la
foule pour me soutenir, mû par une sorte de charité chrétienne hypocrite. Je me
décharge sur les mots, seuls eux ont le pouvoir. Les murs sont devenus
rassurants à force de coller mon front fatigué sur cette paroi fraiche et
lisse. Un contact. Enfin un contact sans mots qui dissonent avec le regard de
ceux qui les prononcent. Je ne leur en veux pas, plus maintenant. La politesse
l’emportera toujours, quand bien même cela crée des hommes machines dont le
monde tourne autour d’automatismes, quand bien même le monde soit en train vaciller.
Et quand c’est mon corps tout entier qui chancelle, ce sont les choses
immobiles qui me rattrapent, l’air de rien, en silence. Les murs m’empêchent de
tomber.
Ma peine n’est pas si douloureuse. Je ne fonds pas en larme,
je ne sens pas mon corps se déchirer en un millier de morceaux vides.
Seulement, parfois, mon esprit s’égare, et je me demande ce que cela ferait si
je n’étais pas là. Je regarde alors ce qui m’entoure comme si je les découvrais
à peine, et j’ai l’impression d’observer ma vie qui est en train de défiler. C’est
pour cela que je m’active sans cesse, car si je me tais, je disparais.
***
Ce que j’appelle « peine » ou « douleur »
ne sont pas exactement ce que ces mots désignent couramment. Comment définir
ceci ? Si je vous dis que c’est plus ou moins semblable à une saturation d’informations,
je ne suis pas sûre que cela vous aide à mieux comprendre, et pourtant c’est ce
que je ressens. J’ai l’impression de recevoir tant de signaux, souvent
contradictoires, tant d’imprévus, tant de données à emmagasiner, que je me
retrouve souvent seule et dans un désarroi que je ne comprends pas toujours. Ce
n’est pas douloureux, mais cela me laisse dans un état d’insécurité avancé,
accentuant mon gout de l’autodestruction psychologique. Je suis, comme souvent,
une bombe à retardement. Le pire c’est que j’en ai conscience. Pour être plus
claire, je sais que mes réactions premières face à n’importe quelle situation ne
sont que des façades et que j’en baverais plus tard. Je le sais, je sais
comment je fonctionne, et je ne fais que reculer pour mieux plonger. Mais au
moins j’ai un temps de répit. Pour autant, ces derniers temps, j’ai l’impression
que je me mets un peu moins dans la merde qu’autrefois. Serait-ce une preuve de
maturité, ou bien l’influence bienveillante de quelques amis qui n’ont pas peur
de dire ce qu’ils pensent ? Les deux réponses sont sans doute liées. Et
maintenant, je ne sais plus si je suis sereine ou blasée. Quand est-ce qu’on a arrêté
de se battre pour les détails de nos vies qui nous rendaient pourtant heureux ?
Au final mes peines et douleurs sont douces, elles ne sont
pas dans la chair, seulement dans cet infatigable ballet des neurones qui
surchauffent. Au moins je ne vais pas mal.
2 Phalange(s):
Ah la la !
Si tu es en train de te noyer, que quelqu'un te balance une bouée et que tu lui demande ses papiers, là oui, "ton esprit s'égare" !
Au risque de couler, on comprend donc que tu t'interdises de t'arrêter de nager.... N'est-ce pas ? ("Si je me tais, je disparais")...
J'ai envie de dire attention que tout d'un coup la charité chrétienne hypocrite ne t'éblouisse ! A mon avis, vaudrait mieux ça que de disparaître !
Freud disait « Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort », peut-être n'avait-il pas si tord qu'il n'y parait, peut-être même qu'il avait raison quand j'y pense. Qu'on ait peur ou non, mal ou non, les choses arrivent, elles viennent se cogner sur nous, en nous, faire des échos instopables qui foutent un bordel pas si joyeux que ça au fond de notre tête et si la solution c'était l'abandon de la lutte, l'acceptation du mal que les choses nous font, qu'on se fait, qui viendront et qui nous laisseront le coeur au caniveau?
J'aimerai cessé de penser et m'en foutre.
Parfois ça marche, d'autre non.
Nous sommes l'oiseau et la cage, notre liberté et notre prison.
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